Les mots d'une image - 24
#MotImage
Lago Puelo, Patagonie, Argentine
5 octobre 2018
Sur les bords de ce lac, un jour, je suis arrivé.
Les mois et les années avaient accompagné
Ma longue marche.
Notre trop longue marche…
Mais ce jour-là, j’étais le seul, le dernier.
Les souvenirs des anciens parlaient
D’un temps d’immense froid
Entre deux immenses terres.
Mais j’étais devenu
l’enfant, l’adulte et l’ancien.
Certains s’étaient posés,
Certains étaient morts,
Certains s’étaient disputés, séparés.
Moi, j’avais continué, toujours vers le Sud.
Nous avions été un peuple,
puis une tribu,
puis une famille
puis…
J’étais le seul à maintenir l’obsession du Sud.
Marcher pour s’éloigner des grands froids, au début.
Marcher pour fuir, les grands chauds, ensuite.
Enfin, Marcher pour marcher,
Grimper des montagnes,
Suivre des vallées,
Courir avec les torrents furieux ou asséchés.
Puis,
Sur les bords d’un lac, un jour, je suis arrivé.
Je me suis posé
Il y a tant d’excuses pour se poser :
• La fatigue ;
• l’âge
• La crainte du lendemain
• L’ennui du nouveau
• L’espoir d’une vie facile.
J’ai choisi celle de la beauté de ce lac aux eaux changeantes.
Je me suis posé,
Je me suis assis,
J’ai regardé.
Parfois, j’ai détourné le regard,
Pour chasser,
Pour récolter,
Même cultiver, juste l’indispensable.
Mais toujours je revenais ici,
Là, où mes pieds avaient foulé ces galets la première fois.
Là, où j’étais tombé amoureux d’un paysage.
Les jours,
Les semaines,
Les mois,
Les années,
Les décennies ont couru derrière mon regard.
Cruel, l’âge m’a rattrapé.
Alors, tout a changé,
Je me suis figé.
Ma peau s’est faite écorce,
mes bras, multipliés, branches,
Mes poils, feuilles,
Mes pieds, racines.
Ils étaient caressés
Par le lac,
Par la pluie,
Par la neige,
Par le vent,
Par la chaleur.
L’eau et le soleil me nourrissaient,
Mon attention fixer sur le lac.
Regarder,
Encore regarder,
Toujours regarder.
D’autres hommes sont venus,
D’autres hommes se sont installés,
Mais loin de mon lac,
Hors de sa vue,
Drôle d’idée !
Moi, je suis toujours là.
Certains m’arrachent des feuilles ou des branches
Qu’importe, ils ne pourront jamais toucher mes yeux.
Moi , je le regarde,
je l’aime ce paysage,
je lui fais même l’amour.
Regardez,
Tous nos fils,
Toutes nos filles
Ont conquis ses rives.
Sur les bords de ce lac, un jour, je suis arrivé.
Sur les bords de ce lac,
Tant de jours,
J’ai vécu ,
J’ai aimé,
j’ai changé
Que j’ai oublié le Sud.
Mais le futur m’attend.
Si vous venez sur ses rivages,
Posez-vous sous mon ombre,
Regardez et, regardez encore.
Moi, je vous conterai ce lac,
Ses couleurs changeantes,
Ses reflets mouvant
Ses oiseaux ou ses poissons,
Ses arbres ou ses baies,
Ses montagnes qui l’honorent
Ses eaux qui accourent et fuient.
Oui, je vous conterai ce lac.
Je vous le promets,
Je suis un grand conteur.
Lago Puelo 3 juillet 2024
